Contrairement à ce qu'avait estimé la cour d'appel, la Cour de Cassation retient que la société Total peut être considérée comme productrice ou détentrice du fioul lourd retrouvé sur les plages, et, à ce titre, devoir indemniser la commune de Mesquer pour les coûts engendrés par l'élimination de ces déchets.
Le passage du fioul du statut de produit à celui de déchet
La définition du déchet en droit français et communautaire a longtemps été dominée par le critère de l’abandon. Est en effet considéré comme un déchet "tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon" (article L.541-1 du Code de l’environnement). Or il est admis que le fioul lourd n’était pas destiné à l’abandon mais qu’il s’agissait d’un produit énergétique destiné à la combustion. C’est pour cette raison que la cour d'appel de Rennes avait, le 13 février 2002, rejeté l’action engagée par la commune de Mesquer sur le fondement de la responsabilité des producteurs ou détenteurs de déchets.
Le 24 juin 2008, répondant aux questions posées par la Cour de cassation le 28 mars 2007 afin de savoir si le fioul lourd déversé était ou non un déchet, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a considéré que "des hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d'un naufrage, se retrouvant mélangés à l'eau ainsi qu'à des sédiments et dérivant le long des côtes d'un Etat membre jusqu'à s'échouer sur celles-ci, constituent des déchets […] dès lors que ceux-ci ne sont plus susceptibles d'être exploités ou commercialisés sans opération de transformation préalable" (1).
Le 17 décembre 2008, la Cour de cassation a donc suivi cette interprétation pour considérer que le fioul lourd était devenu déchet lorsqu'il s'était répandu en mer à la suite du naufrage de l’Erika. En effet, sur le plan juridique, il ne s'agissait plus d'un produit puisqu'il n'était plus utilisable en l'état.
Si le fioul répandu sur les côtes françaises est un déchet, qui est responsable de son élimination ?
La Cour de cassation, suivant à la lettre les arguments de la CJCE, a mis en parallèle deux principes pour répondre à cette question :
- le responsable de l’élimination d’un déchet est celui qui le produit ou qui le détient (article L. 541-2 du Code de l’environnement),
- le principe pollueur/payeur qui énonce que "toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement dans les conditions définies par la loi" (article 4 de la Charte de l'environnement).
La Cour de cassation a ainsi estimé que :
- le vendeur des hydrocarbures et affréteur du navire les transportant (Total international Ltd) peut être considéré comme producteur ou détenteur antérieur des déchets, à condition qu'il ait contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage (par exemple en choisissant d'affréter un navire vétuste) ;
- si l'indemnisation par le Fipol (2) est incomplète et si la responsabilité des détenteurs (propriétaire et affréteur du navire) ne peut être recherchée, alors le producteur du produit générateur des déchets (Total raffinage distribution) peut être tenu de supporter les coûts d'élimination des déchets si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage.
L'affaire est désormais renvoyée entre les mains de la cour d'appel de Bordeaux qui devra déterminer si Total a ou non contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage. Pour répondre à cette question, la cour se réfèrera probablement aux mêmes arguments que ceux retenus devant le tribunal de grande instance de Paris le 16 janvier 2008 (3) qui a reconnu Total coupable de délit de pollution. Le tribunal s'était notamment fondé sur le fait que le service de vetting de Total (processus par lequel une société pétrolière détermine si un navire peut être utilisé à l'affrètement pour ses besoins) a fait acquérir à la société un pouvoir de direction et de contrôle sur la gestion du navire.
Source: Cour de Cassation, 17 décembre 2008, n° 04-12315
(1) Pour ce faire, la CJCE s'est fondée sur la liste des catégories de déchets définie à l'annexe I de la directive n° 75/442/CEE du 15 juillet 1975 relative aux déchets qui mentionne au point Q4 les "matières accidentellement déversées, perdues ou ayant subi tout autre incident, y compris toute matière, équipement, etc., contaminés par suite de l'incident en question". Elle s'est également inspirée de son arrêt du 7 septembre 2004 (affaire Van de Walle) dans lequel elle a qualifié de déchet un sol pollué suite à un déversement accidentel d'hydrocarbures dans une station service.
(2) Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures
(3) Cette décision a fait l'objet d'un appel