Il y a encore deux ans et demi, Nicolas Séné, l’auteur du livre "Derrière l’écran de la révolution sociale" ne connaissait rien au monde des SSII. Basé à Toulouse, ce spécialiste des questions sociales couvre les luttes des ouvriers de Molex ou de Continental, quand il tombe sur une grève des salariés d’Altran. Des ingénieurs pressent des citrons sur la place du Capitole pour dénoncer leurs conditions de travail.
Que des informaticiens -jouissant a priori d’une position sociale enviable- manifestent l’interpelle. C’est ainsi que de rencontres en rencontres, Nicolas Séné se met à enquêter auprès des sous-traitants d’Airbus. A travers le témoignage de huit salariés de Capgemini, Atos Origin ou d’Assystem, il livre un document musclé de 180 pages (les premières peuvent être feuilletées ici). Rappelons que le premier ouvrage critique sur les conditions de travail en SSII, "Le livre noir du consulting", s’apparentait plutôt à un pastiche. Quant à "L’Open space m’a tuer", il dépasse le cadre des seuls prestataires.
La précarisation par le haut des « cadres ouvriers »
En bout de course, notre journaliste indépendant a trouvé un grand nombre d’analogies entre les conditions de travail des Molex et des Continental et celles vécues par ce qu’il appelle les « cadres ouvriers ». « Ils sont cadres à 80 % -on leur a vendu le statut en école d’ingénieurs- mais n’encadrent souvent qu’eux-mêmes. » Seuls devant leur écran, ces bac + 4 ou 5 sont soumis aux mêmes logiques de productivité.
Pour Nicolas Séné, derrière la vitrine technologique du XXIème siècle que promeut le secteur des SSII, se cache le XIXème siècle social. Isolé, chez son client, l’ingénieur est tenu éloigné de toute démarche collective. La faible syndicalisation de la profession (2 %) participant, selon lui, à cette individualisation de la relation sociale.
Les SSII expérimentent de nouvelles relations au travail
L’entreprise paternaliste du XIXème siècle a cédé la place à des structures faussement cool avec tutoiement de rigueur et novlangue truffée d’anglicismes. On ne parle pas de chefs mais de managers, de placement mais de staffing. Mais derrière les sourires et les apparences de coolitude, la pression est réelle.
Nicolas Séné en conclut que les SSII servent de « laboratoire du recul social » en expérimentant de nouvelles relations au travail. En promouvant la sous-traitance généralisée, elles pourraient provoquer la fin du salariat tel qu’on le connaît. « D’ailleurs, l’une des portes de sortie les plus souvent évoqués est l’indépendance. Sur le mythe de l’entrepreneur qui se fait tout seul. » Sauf que nombre de freelance se retrouvent sous-traitants de… SSII. Quant à la solution traditionnelle qui consiste à se faire embaucher par le client, la voie est de plus en plus étroite. « Quand on évolue au 2ème ou au 3ème degré de sous-traitance, pas facile de rallier Airbus. » D’autant que les grands comptes sont davantage dans une logique d’externalisation de leur informatique que de recrutement. En maintenant leurs prestataires sous pression tarifaire, ils contribuent d’ailleurs à ce mouvement d’ensemble.
Auteur : Xavier Biseul, 01net.