La vidéo, qui est accessible librement sur la chaîne YouTube de l'association Souffrance et Travail (voir ici), se découpe en quatre parties qui analysent les différents aspects du travail à travers la relation au corps, à l'esprit et au groupe. Nous vous en livrons ici les grandes lignes.
Première partie : une construction individuelle et collective
"Même quand le travail est répétitif, contraignant physiquement, on y va avec son imaginaire. La question c'est ce qu'on fait de cet imaginaire dans une organisation où le travail physique est réservé aux uns pendant que le travail intellectuel à d'autre. La seule manière de savoir ce qu'est le travail réellement pour la personne, c'est de lui demander. C'est là que s'exprime clairement les changements opérés ces dernières années. On s'aperçoit alors de la manière dont les travailleurs arrivaient à se rétribuer : par la séparation du travail répétitif mais bien fait, participant à une oeuvre collective et au cours de laquelle on laisse aller son esprit vagabonder. Aujourd'hui "Il s'agit bien de s'exciter sur la chaîne et de même montrer qu'on est capable d'aller plus vite que ce que le chef demande." En poussant alors le corps et l'esprit à une lutte continuelle qui s'inscrit dans un conflit avec les autres travailleurs. Marie Pezé insiste aussi sur l'inconsistance de la rémunération financière et sur la nécessité absolue pour les travailleurs de trouver une forme de plaisir et de récompense alternative à la paie. C'est à ça que serve : la fierté du travail bien fait, l'inscription dans un collectif de travail, l'acquisition et l'utilité d'un savoir-faire transmis et transmissible etc. "Il y a un investissement des valeurs personnelles dans le travail. Si on détruit cette possibilité, il ne reste plus rien", conclut la psychanalyste.
Deuxième partie : le travail, un espace collectif en rétractation
"Le temps de délibération du travail a disparu. Ce temps informel où on pouvait, autour d'une tasse de café le matin partager les "trucs du métier". Malgré tout, je pense qu'aucune forme d'organisation du travail ne peut venir complètement à bout de ce temps. Je pense qu'aucune chaîne de montage ne fonctionnerait si les ouvriers n'y mettait pas encore du zèle, de l'inventivité, du savoir-faire. Peut-être que l'idéologie la plus effrayante est celle qui consiste à croire que puisque l'on a prescrit le travail, l'ouvrier a les moyens de l'exécuter." C'est dans ce tout petit espace que peut encore se loger l'imaginaire, le fantasme et "la liberté" du travailleur qui doit convoquer différentes ressources intérieures pour lutter éventuellement contre la souffrance engendrée par le travail et pour trouver des solutions pour que le travail se fasse. Les solutions passent par des stratégies individuelles (écoute de musique au casque pour un ouvrier de l'agroalimentaire par exemple), stratégies collectives (mise en place de concours de virilité dans le BTP, courses en chariot dans les entrepôts etc.). Les équipes de travail tendent à disparaître et le sens social qui allait avec aussi. Son corollaire est la baisse de la syndicalisation qui était une autre forme d'intégration sociale collective par la défense des victimes. La solidarité disparaît au profit de la solitude."
Troisième partie : la pression morale en sus de la taylorisation
Arrivé au bout de la taylorisation et de l'efficacité maximale du geste biomécanique possible par un opérateur humain, on a passé un cap en ajoutant la pression morale. Il y a toujours eu, bien sûr, des "petits chefs" mais ces pressions morales se sont institutionnalisées. On peut lire dans des guides de management que pour exciter et convoquer encore plus les travailleurs il faut induire de la peur ! Cette forme très perfectionnée de manipulation aboutit à faire adhérer des managers à une idéologie qui consiste à accepter qu'il faut faire peur pour gagner en efficacité et donc à banaliser le mal qu'on peut faire à l'autre. Ce processus implique pour le manager de se couper de la souffrance que l'on inflige soi-même. Les capacités d'empathie et de compassion sont alors bétonnées. Une fois ce clivage psychique mis en place, on peut adhérer à l'idéologie de la guerre économique et accepter qu'on est tous des soldats et qu'on a pas d'autres choix et d'autres méthodes. C'est en réalité un choix éthique et de société."
Quatrième partie : travail et société
"L'équilibre entre la souffrance et le plaisir se trouve encore au travail, mais les défenses qu'il faut développer sont de plus en plus importantes : médicaments, arrêt maladie. Sur ce dernier point, la politique de gestion financière de la sécurité sociale qui va aboutir au durcissement et à la limitation des arrêts maladies que les généralistes donnaient face à des personnes au bord de la décompensation, on sait ce que cela va donner : cela va donner une épidémie de suicides !"
Auteur : Par Sophie Hoguin, actuEL-HSE
A propos de Marie Pezé, voir aussi ces autres articles :
MM's le :
En fait, rien n'a changé depuis "Les temps modernes" incarné par un Charlie Chaplin pas si éloigné de la réalité que cela...
La notion de souffrance au travail semble devenu un sujet banalisé, à la mode, les experts en la matière donnent l'impression d'intervenir en agitant de grandes théories à renfort de mots savants au cours de coûteux séminaires pour "renforcer le moral des troupes...
La donne changera dans le bon sens quand chacun, manager et salarié compris, saura poser un regard humain sur l'autre.
ASTOURIC ALAIN le :
Souffrance au travail : vu l’ampleur des dégâts rien en soi n’est suffisant !
Depuis deux décennies les techniques managériales de mutation organisationnelle permanente, de travail en mode projet, de réingénierie, d’empowerment* et de rémunération variable individuelle ont poussées les hommes, pardon ! les ressources humaines, vers la religion de la mobilité, la transformation permanente, la flexibilité, la polycompétence et l’individualisation des résultats au sein d’une entreprise prétendument individualisée pour le bien de tous.
Or, s’il est exact que ces évolutions peuvent offrir certaines opportunités de responsabilisation des salariés et de mise en place d’organisations moins hiérarchiques, elles font surtout peser de graves risques sur la santé mentale des travailleurs.
Aussi nous ne pouvons que regretter le silence, en particulier politique et dans une moindre mesure journalistique, qui a longtemps prévalu à propos de la souffrance au travail.
‒ Nous regrettons d’abord l’injonction paradoxale à l’autonomie qui a été faite aux salariés, sans jamais s’être assuré qu’ils y soient prêts, sans toujours leur avoir donné les moyens afférents et sans avoir non plus suffisamment intégré le frein que constitue en parallèle la procéduralisation excessive du travail. L’organisation est aujourd'hui exagérément normée et l’employé n’a plus le droit, faute de se le voir reprocher, de dévier des tâches à accomplir les unes derrière les autres ;
‒ Nous regrettons en second lieu la mise en concurrence des équipes. Une sorte de compétition qui, à l’instar des pratiques individualisantes, des modes de travail concurrentiels et des menaces de mise au placard ou de licenciement, continue à ravaler les gens au rang de simples ressources ;
‒ Nous regrettons en suite l’idée même de qualité totale, comme nous le faisions dès 2004 dans une étude intitulée, Le management durable (Editions Chronique Sociale) : […] les appellations aux allures excessives comme, qualité totale, zéro défaut ou excellence qui ne font aucune place à la réserve, ignorent la nuance et oublient les concessions afférentes à l'imperfection humaine, sont à manier avec précaution, si ce n'est à regarder avec suspicion […] La perfection n'est pas encore de ce monde ! D’ailleurs, si comme nous l’entendons de plus en plus souvent le risque zéro n’existe pas, comment la qualité totale pourrait-elle exister ?
Alors que faire en ces temps du triomphe de l’individualisme ?
Etant donné qu’on ne peut pas revenir en arrière, il est urgent de reconstruire l’entreprise. Non pas par nostalgie du passé mais parce que l’on tient là l’unique façon de réussir l’avenir.
Maintenant que les partenaires sociaux sont parvenus à un accord sur le harcèlement visant à mieux détecter la violence dans les entreprises, le moment est venu pour les branches professionnelles de mettre en place les outils adaptés à la situation de leurs secteurs. C’est-à-dire, pour l’essentiel : systématiser vraiment l’accompagnement des changements ; instaurer un délai minimum de stabilité après chaque changement de poste et, comme le recommande le rapport Lachmann de février 2010, prévoir une étude d'impact social avant toute restructuration significative.
Parallèlement à ces trois mesures structurelles, il est plus que temps de donner enfin à la maîtrise et aux cadres non seulement une réelle et suffisante marge de manœuvre mais aussi une formation sérieuse, complète et concrète, d’abord aux problématiques de la santé et du bien-être au travail, ensuite, et surtout, aux dix techniques qui fondent (depuis presque toujours) le management efficace d’une équipe au travail :
• La communication interindividuelle ;
• La gestion du changement dans les Organisations ;
• La recherche de l’amélioration de la qualité ;
• La délégation de pouvoir ;
• La prise de décision ;
• La négociation interindividuelle ;
• La motivation de l’homme au travail ;
• La conduite de réunion ;
• La prise de parole en public ;
• L’entretien de face-à-face.
Nous sommes bien conscient que vu l’ampleur des dégâts rien en soi n’est suffisant et que la pédagogie à elle seule n’est pas la panacée. Mais si l’on n’utilise pas en premier lieu les moyens existants, ceux là même qui ont depuis longtemps fait leurs preuves, rien ne sera jamais résolu.
En outre, parce qu’en matière de relations sociales dans le travail, de conditions de travail et d’organisation du travail la démarche collective est toujours à privilégier, nous insistons sur la nécessité à former les décideurs et dirigeants ‒ surtout les plus jeunes ‒ au minimum aux problématiques de la santé et du bien-être au travail ainsi qu’à la gestion du changement dans les Organisations. De préférence à la totalité de ce même programme.
On a là un train de mesures qui en ne confondant pas prévention du stress et poudre aux yeux devrait nous permettre de regagner suffisamment de confiance et d’adhésion pour, enfin, travailler mieux.
D’autant que les moyens existent de détecter les causes du stress, et donc d’agir en amont, par exemple, ThermoStress
Source http://astouric.icioula.org
* La réingénierie consiste en un écrasement de la pyramide hiérarchique par disparition de la plupart des agents de maitrise et cadres de proximité. L’empowerment, au prétexte de lui offrir l’autonomie, aboutit en réalité à placer le salarié dans une position intenable entre, d’une part la stricte obligation de résultats immédiats et d’autre part le strict respect de normes, règlements procédures et processus.
Alain Astouric le :