"Le CHSCT est une institution représentative (principe 1) où s'exprime le travail (principe 2), où se construit l'action en faveur de la protection de la santé (principe 3) et où se constitue un savoir nouveau sur les conditions matérielles et psychosociales (principe 4) du travailleur. C'est au prisme de ces principes que les évolutions de l'instance ou de son équivalent doivent s'apprécier", pose Pierre-Yves Verkindt. Pour le professeur de droit de l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, les CHSCT sont "au milieu du gué" ; il fait trente-trois propositions pour faire évoluer l'instance. Il a présenté vendredi devant le Coct (conseil d'orientation des conditions de travail) le rapport qui lui avait été commandé par le ministère du Travail pour "établir un état des lieux des forces et faiblesses de cette instance et pour envisager les pistes d'évolution", suite à la conférence sociale de juin 2013 (voir notre article). En près de deux cents pages, Pierre-Yves Verkindt réfléchit à la "crise de croissance" qu'a vécue le CHSCT ces dernières années, à la mise en place des CHSCT, aux missions dévolues à l'instance, puis à son fonctionnement. Une dernière partie se consacre à l'épineuse question de l'expertise : "je me dois de relever qu'elle concentre sur elle une certaine acrimonie, voire une exaspération des entreprises devant ce qu'elles considèrent être une instrumentalisation dans une sorte de guérilla procédurale coûteuse et dilatoire", note-il.
DU : consultation obligatoire du CHSCT
"Il nous paraît essentiel que soit reconnue l'aptitude de l'instance et de ses membres à co-construire la cartographie des risques dans l'entreprise", affirme Pierre-Yves Verkindt, une remarque qui "vaut tout autant pour les risques d'atteintes à l'intégrité physique et pour les risques psychosociaux". Il propose (proposition 17) que le document unique d'évaluation des risques (DUER) passe par "la consultation obligatoire du CHSCT". Aujourd'hui, l'établissement et la mise à jour du document unique, "un outil de la visibilité du risque préalable à toute action sérieuse de prévention", sont de la responsabilité de l'employeur. Or selon l'enquête Sumer menée par la Dares et la DGT (direction générale du travail), lorsqu'on interroge les médecins du travail, seul 51 % des salariés bénéficieraient d'un document unique d'évaluation à jour, 35 % d'un document unique et d'un plan de prévention – dont 64 % dans les établissements d'au moins 500 salariés (voir notre article).
Heures d'inspection : temps de travail effectif
Pour renforcer le travail des membres du CHSCT et leur permettre de "connaître précisément les conditions du travail", d'être "dans le travail réel et dans le concret des tâches réalisées dans l'entreprise", le rapport suggère (proposition 18) aussi de modifier le code du travail (article L 4614-6). Les heures d'inspection régulières et d'enquêtes ne seraient ainsi plus imputables sur le crédit d'heures dont bénéficient les membres, mais seraient considérées comme du temps de travail effectif, ainsi que c'est déjà le cas pour les réunions du CHSCT, les enquêtes post-accidentelles et la recherche de mesures préventives en situation d'urgence et de gravité.
Formation renforcée
Pierre-Yves Verkindt n'aborde la question du recours à l'expert "qu'après les problématiques liées à la constitution d'un savoir propre au CHSCT, l'expert n'étant qu'une aide à la constitution de ce savoir". "Cela ne signifie pas que les élus devraient se muer en ergonomes, psychologues ou autres spécialistes des 'sciences du travail'", précise-t-il, mais "dans un contexte où les pratiques managériales tendent à éloigner les 'décideurs' du travail réel, les membres du CHSCT sont les premiers experts de leurs propres conditions de travail et de celles des travailleurs qu'ils représentent". Pas moins de cinq propositions concernent la formation. Les auditions auraient pointé "l'insuffisance du volume horaire, le caractère trop juridique des formations, l'insuffisance des retours sur expérience et le défaut de formation continue, l'ancrage insuffisant de la formation dans la réalité du travail". Le professeur de droit propose de "fixer à cinq jours par mandat la formation des élus au CHSCT quelle que soit la taille de l'établissement" (proposition 25). Il reviendrait à chaque branche d'établir "le référentiel des compétences attendues d'un élu CHSCT et des délégués du personnel" et d'"associer à ce référentiel, un référentiel de formation qui servira de base aux agréments des organismes de formation" (proposition 27). Secrétaire et président de CHSCT auraient une formation supplémentaire (propositions 28 et 29).

Experts mieux contrôlés
Coût excessif, qualité mise en doute, partialité, insuffisance de l'apport réel à la connaissance et à l'amélioration des conditions de travail : l'expertise cristallise tant de critiques qu'elle nuit au CHSCT lui-même. Pour Pierre-Yves Verkindt, le premier problème est "la reconnaissance de la qualité d'expert du CHSCT", qui dépend aujourd'hui d'un agrément ministériel. Il évoque la question de faire un "ordre" des experts CHSCT comme pour d'autres professions réglementées telles que les experts-comptables : le processus lui semble "illusoire" et il ne le défend pas. "En revanche, il me semble que la profession devrait être incitée à s'organiser", plaide-t-il, une évolution qui ne pourrait être "que progressive" et reposerait sur "une volonté du monde de l'expertise". Cela pourrait aussi permettre à la profession d'aller dans le sens d'une régulation des coûts. Il se positionne en faveur du maintien de l'agrément administratif des cabinets d'expertise (proposition 30). Ceci avec un renforcement du contrôle du ministère sur les cabinets à trois niveaux (proposition 31) : "en amont en prenant l'initiative de la mise en place d'un référentiel et d'une charte de l'expertise CHSCT et en favorisant la constitution d'un organisme représentatif des structures d'expertise", "en continu et par sondage aléatoire, réalisé auprès des organismes d'expertise, des CHSCT et des entreprises", et via le pouvoir d'alerte des Direccte.
Juste un "accord sur les moyens"
Pierre-Yves Verkindt fait deux propositions (32 et 33) tendant à mieux encadrer le processus de recours à l'expertise et à en maîtriser les délais. La question du coût est liée à celle de savoir s'il faut que le CHSCT ait un budget propre. Le rapport propose simplement la "libre disposition d'un local" et d'"inciter entreprises et organisations syndicales à élaborer un accord sur les moyens matériels de l'instance" (proposition 19). Pierre-Yves Verkindt pense que le CHSCT doit "éviter tout ce qui pourrait l'éloigner de la réalité des conditions de travail" : la mise à disposition d'un budget, dont le principe et le volume seraient légalement définis l'amènerait "sur le terrain de la gestion d'un patrimoine voire ouvrant la voie à des querelles de légitimités ou à des conflits sur l'usage des sommes ainsi identifiées".
"Sans tabous"
"Sans ignorer ni les contraintes économiques pesant sur l'entreprise, ni celles, budgétaires, qui affectent aujourd'hui le fonctionnement des services de l'État, il me semble que l'agacement qui pourrait résulter de certaines des propositions avancées doit être renversé au profit d'une discussion libre et sans tabous", prévient Pierre-Yves Verkindt dès le début de son rapport. "Ce rapport constitue une excellente base de discussion pour alimenter la négociation interprofessionnelle qui est envisagée dans les prochains mois sur la qualité du dialogue social, dans le cadre du 'pacte de responsabilité'", indiquait sobrement le ministère du Travail vendredi soir, ajoutant qu'"il sera aussi très utile pour enrichir les travaux préparatifs du prochain plan santé au travail 2015-2017".
Élection directe du CHSCT
Afin de "traduire une exigence de démocratie salariale", Pierre-Yves Verkindt préconise une élection directe des membres du CHSCT – actuellement, ils sont cooptés par les élus CE et délégués du personnels réunis en collège désignatif. La durée des mandats, actuellement de deux ans, s'alignerait sur celle des mandats CE/DP, soit quatre ans par défaut, lorsqu'une durée moindre n'est pas fixée par un accord collectif. Chaque élu CHSCT aurait un suppléant. Chaque organisation syndicale se verrait accorder le droit de désigner un représentant syndical au CHSCT. Enfin, pour faciliter la coordination des instances, un représentant du comité d'établissement ou d'entreprise pourrait être désigné au CHSCT, "et inversement".
Voir le Rapport établi par le professeur Pierre-Yves Verkindt sur le CHSCT.
Auteur : Par Elodie Touret, actuEL-HSE.
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