Mais les entreprises qui veulent tenter l’expérience doivent y regarder à deux fois. L'utilisation de l'outil n'est pas sans risques, à court et à long terme.
Décaper un mur sans avoir à porter sa ponceuse, lisser du béton en grande quantité sans être obligé de forcer sur son râteau, mettre des articles dans un rayon en hauteur sans que les épaules ne fatiguent : l’exosquelette peut faire des petits miracles comme ceux-ci. Mais il faut voir plus loin, disent en substance les experts de l’INRS. Dans le cadre du salon Préventica ce mercredi 8 juin, ils expliquaient être régulièrement sollicités par les entreprises sur ces objets qui donnent à l’utilisateur un petit air d’Iron Man. Elles pensent pouvoir régler là un problème de TMS. Mais elles ne savent pas que l’exosquelette peut faire surgir d’autres soucis, ou plus simplement obliger le travailleur à revoir sa façon de travailler. Ce qui implique un temps d’adaptation pour lui, et pour son employeur, une réorganisation du travail.
Moins d’efforts, plus de capacités
"Pour l’instant, on est encore loin de l’exosquelette qui recouvre le corps en entier", prévient Jean Theurel, chercheur à l’INRS. Ceux que l’on croise à l’heure actuelle ressemblent plus à des prothèses qu’à des membres de robots. Il s’agit de bras ou de jambes articulés, que l’opérateur porte via un système de sac à dos ou de ceinture. Utilisés depuis longtemps dans l’armée ou le cinéma, ils permettent surtout d’éviter que le travailleur ressente le poids des outils qu’il doit porter. Sans surprise, les opérateurs qui l’ont testé pour le dos déclarent être "moins fatigués". "On constate une diminution de l’impression d’effort de 40 à 50 %" chez ceux qui l’ont utilisé pour soulager leurs épaules, rapporte Jean Theurel. D’après les rares études recensées sur le sujet, un exosquelette permet aussi de réduire de 10 à 40 % l’activité musculaire en jeu dans certaines tâches de manutention. Enfin, il peut aussi donner à celui qui l’arbore la possibilité de porter des charges beaucoup plus lourdes que celles qu’il pourrait soulever en temps normal. Version Hulk cette fois.
Perturbations et perte de contrôle
De quoi faire briller les yeux de ceux qui s’inquiètent de l’usure professionnelle de leurs salariés. Ou de ceux qui rêvent de leur faire mettre deux fois plus de choses en rayon. Jean-Jacques Atain-Kouadio, ergonome à l’INRS, casse l’ambiance. Sur le terrain, il constate que l’outil comporte des risques auxquels personne n’avait pensé. Collision avec un tiers, casse d’outils en cas d’effort surhumain, mais pas que. "Son utilisation entraîne un déséquilibre postural, cela peut perturber le mouvement habituel de celui qui l’utilise", développe-t-il. Avec, potentiellement, d’autres effets négatifs sur le corps. Ne plus avoir besoin de fléchir les genoux pour telle ou telle tâche, c’est bien, mais l’extension continue des genoux 8h par jour est-elle préférable ? Assister l’épaule soulage le muscle deltoïde, mais si l’exosquelette exerce pour cela un point de compression dans le dos, le gain en confort vaut-il la peine ? "Avec les exosquelettes, on ignore ce qui se passe pour les autres articulations que celle qu’on soulage", résume Jean Theurel.
Un temps de familiarisation est nécessaire
Jean-Jacques Atain-Kouadio constate aussi que leur utilisation peut entraîner chez le travailleur une "impression de perte de contrôle". "Il faut à l’opérateur un temps d’adaptation, il doit être formé et familiarisé à l’exosquelette", insiste l’ergonome de l’INRS. À l’inverse, l’outil doit avoir été conçu et acheté en fonction de ses besoins propres. "L’exosquelette n’est pas une solution à tout, pour répondre à une problématique générale type TMS, pénibilité, charges lourdes. Il doit répondre à une question très précise", souligne-t-il. Assister l’épaule de tel salarié qui effectue telle tâche, car cela lui cause tel problème. Autant dire qu’avant de se lancer, l’entreprise a donc tout intérêt à dresser une analyse détaillée des risques, de concert avec ses employés. Elle doit aussi être prête à leur laisser des marges de manœuvre: l’exosquelette nécessite de trouver de nouveaux repères en terme d’équilibre, de geste. Parfois, c’est même l’organisation du travail qui est à revoir (voir encadré). Car l’exosquelette peut être encombrant, nécessiter d’être monté / démonté, parfois même à deux ! Des éléments qui devraient s’améliorer avec les années, estiment les spécialistes, qui suggèrent aux entreprises de patienter encore un peu, jusqu'à l’avènement d’une nouvelle ère : celle des "exosquelettes de 2e génération".
Cas pratique
Une entreprise du BTP assistée par Jean-Jacques Atain-Kouadio a testé un exosquelette sous forme de gilet relié à une potence. En enfilant ce gilet, le salarié a à portée de main une ponceuse (attachée à la potence, elle-même située derrière le travailleur). Cette ponceuse doit lui permettre de décaper une mur. Plus obligé d’exercer de pression ou de porter la ponceuse en question (il n'a qu’à la guider), le salarié n’a plus besoin de deux passages pour décaper un mur : un passage suffit, selon l’ergonome. Il est ainsi moins fatigué, de telle sorte que sa journée s’organise autrement. Il ne consacre plus son après-midi aux finitions pour se "reposer" d’une matinée dédiée à des tâches plus physiques. À mettre en regard du gain de productivité, deux éléments : le coût de l'exosquelette en question, 1 000 euros environ. Et le temps consacré par l'entreprise et le salarié aux discussions sur l'outil. "Il faut des allers-retours avec les fabricants", et souvent, des ajustements, rappelle Jean-Jacques Atain-Kouadio.
Auteur : Par Claire Branchereau, actuEL-HSE.
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