Malgré des décennies de structuration des démarches de prévention, les accidents du travail graves persistent. Cette réalité interroge l’efficacité des dispositifs en place, y compris dans les organisations les mieux outillées. Faut-il réinventer la prévention ? Pas nécessairement. Mais il semble aujourd’hui nécessaire de la simplifier, de la rendre plus lisible, plus ancrée dans la réalité du terrain. C’est dans ce contexte que se développent les “règles d’or sécurité” — un outil complémentaire, à forte valeur comportementale, centré sur les risques majeurs et sur l’adhésion du collectif.
Une limite atteinte par les démarches traditionnelles
Les systèmes de management de la santé et de la sécurité au travail (SMSST), qu’ils soient inspirés de normes internationales (ISO 45001) ou de référentiels sectoriels (MASE), ont permis des avancées majeures en matière de structuration de la prévention : clarification des rôles, évaluation des risques, procédures formalisées, indicateurs de performance, etc.
Cependant, les analyses d’accidents graves montrent que ces dispositifs ne suffisent pas toujours à éviter les drames. Plusieurs facteurs l’expliquent :
- Une complexité croissante des systèmes, parfois difficilement appropriable par les opérateurs de terrain ;
- Un écart entre les prescriptions documentées et les pratiques réelles ;
- Une forme de lassitude ou de banalisation des messages de prévention ;
- Et surtout, une sous-estimation des comportements à fort potentiel de gravité.
Ces constats invitent à penser une approche plus directe, ciblée et mobilisatrice.
Les “règles d’or” : émergence d’un outil à visée comportementale
Inspirées d’initiatives développées initialement dans le secteur pétrolier et de la construction, les règles d’or sécurité — aussi appelées life saving rules ou safety golden rules — visent à identifier un nombre limité de situations critiques (typiquement entre 8 et 12), pour lesquelles les écarts de comportement peuvent avoir des conséquences mortelles.
Ces règles ne cherchent pas à remplacer les procédures. Elles les complètent par un message clair, non négociable, formulé dans un langage simple, centré sur des interdits ou des obligations vitales. Exemples : “Ne pas pénétrer en espace confiné sans autorisation”, “Porter un harnais pour tout travail en hauteur”, “Interdiction de contourner les dispositifs de consignation”.
Leur intérêt repose sur trois leviers :
- La lisibilité : en réduisant le volume d’informations critiques à un socle essentiel.
- La responsabilisation : les règles d’or sont conçues pour être comprises et assumées individuellement.
- Le dialogue : elles deviennent un support de discussion entre les niveaux hiérarchiques, et renforcent la culture sécurité.
Une démarche à structurer : au-delà des slogans
Le succès des règles d’or repose sur une exigence méthodologique rigoureuse. Le risque, sinon, est de produire un affichage symbolique sans impact réel.
Plusieurs étapes clés sont nécessaires :
1. Identification des risques majeurs spécifiques à l’organisation
Les règles doivent être ancrées dans la réalité des métiers, des sites, et des incidents passés. Un travail d’analyse croisée des données disponibles est indispensable : sinistralité, évaluations de risques, enquêtes d’accidents, retours d’expérience, etc.
2. Co-construction avec les parties prenantes
Imposer des règles descendantes, sans dialogue, peut générer du rejet. Il est crucial d’impliquer les opérateurs, encadrants, préventeurs et représentants du personnel dans l’élaboration des règles. Cela garantit leur légitimité et favorise leur appropriation.
3. Cohérence avec les systèmes existants
Les règles d’or doivent s’insérer dans l’architecture globale du système de management. Elles ne doivent pas créer de contradictions avec les procédures existantes, mais en synthétiser les points vitaux.
4. Déploiement progressif et piloté
Communication visuelle, animations de terrain, séquences de sensibilisation : le déploiement nécessite un plan de conduite du changement adapté à la maturité de l’entreprise et à ses contraintes opérationnelles.
5. Évaluation et ajustement
Comme tout outil de prévention, l’efficacité des règles d’or doit être évaluée. Cela peut passer par des audits internes, des indicateurs de suivi, ou encore des observations de terrain.
Les limites du modèle : un outil, pas une solution miracle
Les règles d’or sécurité ne doivent pas être perçues comme une panacée. Elles présentent plusieurs limites à prendre en compte :
- Elles ciblent les risques graves, mais ne couvrent pas l’ensemble des risques professionnels.
- Elles nécessitent un engagement fort et visible de la Direction. Sans exemplarité managériale, elles perdent leur pouvoir normatif.
- Elles peuvent être mal utilisées. Certaines organisations copient des règles types, sans les adapter à leur réalité, réduisant ainsi leur efficacité.
- Elles doivent s’intégrer dans une culture sécurité globale. En l’absence d’un socle solide (dialogue, retour d’expérience, formation), elles peuvent paraître artificielles.
Une opportunité stratégique pour renforcer la culture sécurité
Malgré ces limites, les règles d’or sécurité peuvent jouer un rôle décisif dans la construction d’une culture sécurité mature. À la différence des outils techniques ou des plans d’action classiques, elles agissent au niveau des comportements, des représentations, de la responsabilisation individuelle.
Elles permettent aussi d’aligner les différents niveaux de l’organisation autour de messages partagés, dans un langage non technique, compréhensible de tous. Ce pouvoir de simplification est essentiel dans des environnements où les messages de prévention sont nombreux, parfois contradictoires, ou noyés dans des documents peu lus.
Enfin, elles donnent à la prévention un visage plus humain. Elles ne parlent pas de procédures, mais de vies humaines. Elles rappellent que la sécurité n’est pas une affaire de conformité, mais une exigence éthique, collective et durable.
Auteur : Maxime PLANTEY, AEGIDE INTERNATIONAL.
