Pensez-vous que la réforme de la médecine du travail soit sur de bons rails ?
Vous avez sans doute vu mon dernier édito sur le site de l’Institut de santé au travail du Nord de la France (Istnf). Il s’intitule « Y a -t-il une volonté de réformer la médecine du travail ? » [1]
Les doutes sont en effet permis. Les constats avaient tous été faits dans les différents rapports remis ces dernières années. D’une démarche de prévention, déjà prévue en 1946 et réaffirmée par la loi de 1991, édictant les principes généraux de prévention, nos priorités ont glissé d’année en année vers une problématique d’aptitude. Celle-ci n’est toujours pas remise en cause.
La santé au travail se trouve donc un peu écartelée. Il n’y a plus de perspectives. Alors qu’elles existent. Aussi bien le rapport que j’ai co-rédigé avec Françoise Conso que celui du Conseil économique et social (Ces) les donnent.
A partir à la fois du Document unique (DU) et de la fiche entreprise que tient le médecin du travail, la tâche de ce dernier devrait être d’aider à l’élaboration de programmes de santé au travail, sur chaque entreprise. Mais nous patinons.
Le ministre du travail ayant annoncé le report des décisions après avis des partenaires sociaux, nous allons devoir faire avec des solutions un peu bâtardes pendant un an encore. Les expérimentations originales vont en prendre un coup.
Vous faites sans doute référence à la mise en place d’équipes pluridisciplinaires dans les services de médecine du travail. Quel rôle, à votre sens, doit jouer le médecin du travail au sein de ces équipes ?
La pluridisciplinarité a augmenté. Au moins dans un certain nombre de services. Chez nous, dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est le cas.
Mais il faudrait pousser davantage les pratiques dans ce sens. Le problème est que l’agrément des services repose encore sur des approches quantitatives, alors que nous avions proposé – avec Françoise Conso – d’introduire des critères de qualité. Il est préférable, aussi, de promouvoir la pluridisciplinarité en interne dans un service de médecine interentreprises, plutôt que de faire appel à des « consultants » externes. Pour maintenir une cohésion dans la démarche.
Je m’explique. En Belgique, par exemple, la santé au travail a deux directions : une santé et une « technique », séparées. En six ans d’expérience, on s’aperçoit que leurs deux structures se sont éloignées l’une de l’autre. Le développement technique devient prioritaire. Le médecin n’est plus le pivot du système. On perd alors l’approche humaniste, humaine de la fonction.
C’est pourquoi il est important que ce soit le médecin qui demeure au cœur de l’organisation du service.
Mais il faudrait recruter davantage de médecins et redynamiser l’image de la filière afin que les jeunes internes ne la boudent pas. Le médecin du travail, au sein des équipes pluridisciplinaires devient, en plus de son activité médicale, un manager d’équipe et un concepteur de plans de santé au travail.
Je comprends que cette dimension puisse faire peur à certains collègues, aujourd’hui. Ce peut aussi être un atout pour le recrutement de jeunes médecins.
La gestion des risques professionnels et des services de médecine du travail. Comment les voyez-vous ?
Il faudrait aller plus loin dans le paritarisme au sein des services de médecine du travail. D’autre part, confier à l’Urssaf – comme il en est question – le soin de récolter les cotisations des entreprises et de les redistribuer fait bondir les patrons.
Moi, cela ne me gêne pas. Mais comment cette somme globale va-t-elle être répartie ? Il faudra tenir compte des contextes démographiques. Sinon, on risque de faire la prime à celui qui ne fait rien.
Pourquoi ne pas imaginer une gouvernance régionale ? C’est un enjeu. La santé au travail ne sera pas traitée au sein des agences régionales de santé. Pourquoi, alors, ne pas créer des agences régionales de santé au travail (Arst).
Cela permettrait d’intégrer à la fois, régionalement, la branche AT-MP, la Direction régionale du travail (Dterfp), l’Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) ainsi que les services de santé au travail. Charge aux Arst de redistribuer l’argent sur des projets précis.
Les Arst ne viendraient pas de nulle part. Nous disposons déjà des commissions régionales de prévention des risques professionnels (Crprp). Il suffirait de leur donner plus de poids, de pouvoirs. Mais le politique va-t-il oser être novateur en 2009, comme il l’a été en 1946 ?
Auteur : Anne-Marie Boulet, VIVA
[1] Voir : www.istnf.fr
Lire également du même auteur l'article "Pluridisciplinarité en médecine du travail : peut mieux faire"