La question du droit de retrait exercé par des chauffeurs de bus après l'agression de leur collègue se pose régulièrement. Or, à cet égard, la jurisprudence n'admet pas de tolérance particulière et s'en tient à la lecture stricte de l'article L. 4131-1 du code du travail. Rappelons ici que ce texte encadre l'exercice du droit de retrait en le limitant aux situations de travail dont le salarié "a un motif raisonnable de penser qu'elles présentent un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé" et aux "défectuosités qu'il constate dans les systèmes de protection". Pour les juges, un simple "climat d'insécurité" ne saurait donc à lui seul justifier le retrait des travailleurs de leur poste de travail.
Cette position de principe vient d'être rappelée dans une affaire concernant des chauffeurs de bus de la banlieue lyonnaise. Le 16 juin 2007, trois d'entre eux avaient exercé leur droit de retrait après une agression. Le 25 juin, ils étaient sommés par l'employeur de reprendre le travail. Face à leur refus d'obtempérer, un licenciement pour faute grave s'en était rapidement suivi début juillet.
D'un danger grave et imminent à un "risque habituel, inhérent au poste de travail"
Devant les tribunaux, la discussion avait porté sur le point de savoir à quel moment on avait basculé d'un exercice légitime du droit de retrait à un abandon de poste qui puisse être sanctionné sur le plan disciplinaire.
Côté employeur, on expliquait que "la non-reprise du poste de travail devait être considérée comme une absence injustifiée à partir du 22 juin au matin" compte tenu des mesures prises à cette date pour assurer la protection des chauffeurs de bus.
En effet :
- dès cette date, le conseil général avait "mis en place des agents de sécurité trois demi-journées par semaine", une déviation provisoire avait été instituée, et les contrôles avaient été renforcés ;
- en outre, "par note du 21 juin 2007, l'employeur avait estimé que plus rien ne s'opposait à la reprise du travail compte tenu des nouvelles avancées intervenues : interpellation des auteurs des faits, mise en place d'un interlocuteur spécifique pour la ligne de bus concernée, système d'appel d'urgence installé sur GPS quasi prêt, instauration de réunions mensuelles de suivi des progrès de la sécurité sur la ligne". Dans cette note, les salariés avaient été invités à reprendre le travail et il leur avait été clairement précisé que "les absences étaient désormais irrégulières et passibles de sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement".

Pour conforter sa thèse, la direction de l'entreprise ajoutait qu'une réunion extraordinaire du CHSCT s'était tenue le 28 juin 2007, dont le compte rendu avait été immédiatement communiqué aux salariés. S'il est vrai que lors de cette réunion, le comité avait effectivement reconnu "des fraudes, incivilités et actes de vandalisme", il avait néanmoins été "considéré que la situation était redevenue normale, que la reprise était sécurisée et que le risque était désormais celui, habituel, inhérent au poste de travail", ce qui "ne justifiait plus l'exercice du droit de retrait".
Quand l'employeur est soutenu par le CHSCT
Une telle argumentation a convaincu les juges. En premier lieu, ils ont estimé que le danger (par ailleurs "non inhérent au poste occupé") ne "révélait pas un manquement de l'employeur à ses obligations" mais qu'il "surgissait, par intervalles, de l'espace public (en l'espèce le tissu urbain traversé par les autocars)". Or, dans un tel cas, "les atteintes à la sécurité des transports de voyageurs, de leurs salariés et passagers ne sont qu'une manifestation parmi d'autres de problèmes d'ordre public impliquant des populations dont certains membres finissent par être bien connus des chauffeurs comme des policiers". Et force est de constater que "l'employeur est encore plus démuni que les pouvoirs publics pour en venir à bout, même si certaines mesures peuvent limiter les risques auxquels les salariés sont exposés". En clair : s'agissant de ce qu'on pourrait appeler la "sécurité urbaine", l'employeur fait ce qu'il peut pour limiter le danger mais il n'a pas le pouvoir de supprimer celui-ci. Un danger qui peut certes survenir, mais de manière somme toute très hypothétique. Plutôt une menace, donc. Laquelle ne suffit pas à justifier un droit de retrait.
En second lieu, sur la question de savoir à quel moment le droit de retrait ne se légitimait plus, les magistrats ont retenu la date du 28 juin, c'est-à-dire la date de la réunion du CHSCT. D'ailleurs, en l'occurrence, il est certain que l'avis du comité a "pesé lourd" dans la balance. À partir du moment où les représentants du personnel se sont accordés avec l'employeur pour écarter l'hypothèse d'un danger immédiat, les salariés ne "faisaient plus le poids", et leur peur de se voir agresser ne procédait plus que d'un simple sentiment d'insécurité (devenu, semble-t-il, "banal" dans la profession).
Remarque
Si le droit de retrait ne paraît pas légitime aux yeux des juges dans un tel cas, on rappellera tout de même ici que la jurisprudence a par le passé retenu la responsabilité de l'employeur, pour manquement à son obligation de sécurité, en raison du "sentiment d'insécurité" ressenti par le salarié sur son lieu de travail (Cass. soc., 6 oct. 2010, no 08-45.609 ; Cass. soc., 26 sept. 2012, no 10-16.307). Ainsi, lorsqu'en dépit de toutes les mesures prises en vue de sa protection, le stress ressenti par le salarié est toujours aussi vif, celui-ci est en droit d'obtenir une indemnisation, sans avoir à caractériser, d'ailleurs, une faute de l'employeur. Cela étant, le travailleur ne saurait "se faire justice lui-même" en décidant, tout seul, de cesser le travail.
Auteur : Par Laetitia Divol, actuEL-HSE.
Pour découvrir actuEL-HSE.fr gratuitement pendant 2 semaines, cliquez ici.