Jusque-là, tout allait bien. Pendant deux heures environ, le cabinet Technologia a débattu avec une assemblée d'infirmières, de médecins du travail et de membres de CHSCT, soit plus d'une soixantaine de personnes conviées à Paris, à s'exprimer sur l'appel lancé le 22 janvier, par le cabinet, pour la création de deux tableaux de maladies professionnelles consacrés à la dépression d'épuisement et à l'état de stress répété (voir notre article). C'est au moment où des membres de CHSCT ont demandé des conseils sur leur rôle à tenir dans l'entreprise, face à un salarié victime du syndrome de l'épuisement, que l'échange s'est pour le moins crispé.
"Déposer les armes" avec la direction
Car, pour Agnès Martineau-Arbes, médecin du travail et consultante pour Technologia, le réflexe à avoir dans ce cas est de tout de suite "évaluer la situation". Une évaluation des risques psychosociaux et des ressources psychosociales, "ce qui va bien, ce qui fonctionne mal", poursuit le médecin. "Le mieux, c'est la mise en place d'un audit qui soit décidé à la fois par la direction et le CHSCT : il faut en effet cesser d'être réactionnaire à l'égard de la direction, et déposer les armes pour travailler ensemble". C'est à ce moment que des voix se sont élevées, faisant état de "bourreaux" face à leur victime, décrit l'un des participants, représentant un CHSCT. "Vous nous dites de déposer les armes, reprend un autre. Ok, très bien. Mais quand on voit une direction licencier un salarié parce qu'il est en situation de burn-out, on fait quoi ?".
Le surinvestissement, une valeur d'employeur ?
Méconnaissance, désintérêt, mépris, commentent les élus CHSCT au sujet du rapport des dirigeants d'entreprise avec leurs salariés en situation de burn-out. "Le surinvestissement est une valeur demandée par l'employeur. Quels recours réels avons-nous ?", interroge l'un d'eux. "Déposez les armes, insiste le docteur. Cela peut paraître difficile pour vous aujourd'hui. Mais il faut être dans la conciliation pour aboutir à un plan d'action concret et simple. Il faut faire en sorte de rétablir les liens collectifs et de mutualiser les efforts". Quant au fait que des personnes avec un burn-out avéré soient licenciées, "ça n'est pas une pratique tolérable", reconnaît-elle, en rappelant la responsabilité pénale de l'employeur en jeu. "Mais ils s'en fichent !", répond une représentante du personnel.
Des sanctions financières

"Il faut frapper aux portefeuilles des organisations pathogènes – ces entreprises en excès de burn-out" poursuit Jean-Claude Delgenes, fondateur et directeur général de Technologia. "Il faut aussi mettre en place des sanctions parce que, on le voit bien, les choses ne changent pas." Il estime que tout est fait aujourd'hui pour que les actifs renoncent à aller vers la reconnaissance de leur maladie. D'où l'idée des deux tableaux de maladie professionnelle. Mais l'appel, qui recueille 4 000 signatures à ce jour, n'est pas sans susciter la colère de certains employeurs. "En réalité, il y a un patronat éclairé qui est d'accord pour y réfléchir, et un patronat moins éclairé qui juge que c'est une fausse bonne idée et qu'il faut refermer immédiatement cette boîte de Pandore". Jean-Claude Delgenes reste cependant confiant : sur le principe des tableaux, il pense un accord possible "assez vite". En revanche, c'est le maillage à trouver pour ces tableaux qui risque de poser davantage problème, selon lui.
"Remettre les DRH à leur place"
À ce jour, la CGT, la CFDT et FO n'ont pas signé l'appel. Des discussions sont en cours, indique Technologia. "Il est aussi impératif qu'un dialogue s'ouvre sur le sujet entre les DRH et les financiers des entreprises", insiste le directeur général du cabinet d'expertise. Pour ce faire, "les DRH doivent se remettre à leur place, pour une gestion humaine des ressources, réplique un représentant de CHSCT. Ils sont devenus aujourd'hui 'trop business'. Direction et DRH, c'est la même chose". Le président de l'ANDRH, Jean-Christophe Sciberras, a récemment prévenu que l'association allait se pencher sur le sujet : "la question des tableaux est bonne, mais elle doit être expertisée". C'est la question du coût de la mesure qui coince. "Il faut être vigilant sur ce point", a-t-il ajouté encore tout en précisant déjà se mobiliser davantage sur le volet de la prévention que sur celui de la réparation.
Saute-mouton sur la Cram
Un autre acteur a également été épinglé jeudi dernier par les membres des CHSCT : la Sécurité sociale, "qui ne vient jamais nous consulter, en cas de burn-out", observent-ils. Dans ce cas, répond le docteur Agnès Martineau-Arbes, "il faut préférer l'inspecteur du travail au représentant de la Cram, et ce, même si leur rôle respectif n'ont rien à voir".
Auteur : Par Rosanne Aries, actuEL-HSE.
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