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Conception d'équipement : tenir compte de l'expérience des opérateurs

Classé dans la catégorie : Général

Suite à l'installation d'une nouvelle machine, cette entreprise est confrontée à des problèmes d'inadaptation de son personnel, pourtant expérimenté. L'analyse du travail montre que le projet de conception du prototype a omis de prendre en considération les savoir-faires des opérateurs.

Présentation

Cette entreprise spécialisée dans le "textile" produit des fils pour l’habillement et l'automobile. Afin de devenir plus compétitive tout en conservant un effectif "vieillissant", dans un secteur d'activité en déclin, cette holding s'oriente vers le développement de produits dits techniques "à plus forte valeur ajoutée". Ce qui se traduit par des investissements importants sur le plan de l'innovation technologique avec notamment l'intégration d'un nouveau "moulin prototype".

Demande de l'entreprise

La direction dit être confrontée à des problèmes de maintien dans l'emploi et d'inadaptation de son personnel vieillissant (70% de l'effectif à plus de 45 ans) face à ce nouvel équipement : « le personnel actuel ne pourra pas s'adapter, leurs compétences ne répondent plus aux besoins de l’entreprise ». Elle sollicite des ergonomes pour une étude sur le moulin "prototype" afin d'améliorer la conception du poste et de proposer des recommandations sur "un aspect strictement dimensionnel et ainsi soulager le travail physique des opérateurs".

Démarche

L'approche des conditions de travail ne s'est pas limitée au poste "prototype". Les observations et entretiens ont porté sur les différentes générations de moulins. Ils nous ont permis de mettre en évidence les réticences à tenir le nouveau poste prototype, d'évaluer de façon comparative les contraintes physiques des situations de travail mais surtout de révéler les stratégies individuelles et collectives mises en œuvre par les opérateurs.

Trois constats principaux apparaissent :

  • Le prototype aggrave les conditions de travail et diminue les marges de manœuvres des opérateurs,
  • malgré les propos tenus par la direction en terme d'inadaptation des anciens vis-à-vis du prototype plus technique, sa mise en test est réalisée par une des opératrice les plus expérimentée du site et qui par ailleurs ne présente aucune restriction d'aptitude,
  • tous les savoirs-faire, construits par les opérateurs sur les anciens équipements (stratégies individuelles et/ou collectives, pour tenir les cadences exigées, pour fiabiliser les opérations en continu et préserver leur santé) demeurent utiles pour la gestion de ce nouvel équipement mais ne sont pas reconnus par l'entreprise.

L'analyse de l'activité et sa validation en groupes de travail (constitués de 3 opératrices dont une représentante du personnel) révèle des stratégies individuelles de fiabilisation mais également des stratégies de régulation collective qui visent à satisfaire la production tout en préservant leur santé (anticipation d'opérations annexes à la production indispensables pour pouvoir produire à temps…) rendues caduques avec le nouvel équipement (démarrage de l’ensemble des roquets en simultané). En effet, sur les anciens moulins, les opératrices peuvent contrôler les passages de fils progressivement en cours de chargement, ce qui leur permet de réduire les contraintes posturales liées au chargement (travail accroupi alternant avec un travail bras en l'air..) mais également de réduire les risques de casses après démarrage. Pour le nouveau prototype, l'ensemble des roquets est démarré simultanément et les contrôles ne peuvent être effectués qu'après un démarrage complet du moulin (ce qui se traduit par une augmentation du nombre de casses de fils et un accroissement de la pénibilité au poste).

D'autre part, les entretiens (réalisés avec le responsable de production et les opérateurs sur leurs postes) mettent en évidence une absence de prise en compte de ces savoirs faire de la part de la direction et du responsable de production. Or, sans intégrer ces modes de régulations dans la phase de réflexion, et de montée en charge des machines, les améliorations techniques se révéleront insuffisantes, erronées.

L'analyse des conditions d'intégration des nouveaux équipements doit par conséquent être faite en tenant compte des utilisateurs et non pas uniquement au regard des spécificités techniques ou fonctionnelles d'un nouvel équipement. Cette vision permet de mettre en évidence les difficultés rencontrées par les opérateurs mais également le rôle qu'ils peuvent apporter par leur expérience dans la gestion de la production et de ses évolutions (intégration de nouveaux équipements…), par une anticipation des modifications des conditions de réalisations de leur activité.

La phase de restitution auprès de la direction et du responsable de production, permet de fournir un autre regard sur la question de la performance et de la productivité. Le responsable de production se fait alors le relais de la prise en compte des données en lien avec les conditions de réalisation du travail (le rôle de l'expérience : les savoirs faire les stratégies de régulation) pour les choix "d'investissement", de modifications d'organisation du travail et plus globalement de performance industrielle.

Bilan

Un bilan assez mitigé :

Ce diagnostic a permis d'une part d'initier la mise en place de groupes de travail intégrant les opérateurs, afin d'entamer une réflexion sur les choix technico organisationnels (à mettre en œuvre sur le site) en tenant compte des utilisateurs. Mais il a également abouti à une évolution des représentations des acteurs internes sur la question de la gestion des âges.

Une prise de conscience de la direction que les savoirs-faire existants issus de l'expérience des opérateurs ont beaucoup plus d'importance dans la gestion du nouveau moulin qu'elle ne le pensait initialement : "d'une demande liée à l'inadaptation d'un personnel vieillissant face à un nouvel équipement, la direction reconnaît les lacunes de conception et l'inadaptation du prototype, conçu et intégré sur site sans tenir compte de l'expérience et des connaissances construites par les plus anciens au cours du temps dans la gestion de la production".

Par contre, l'arrivée tardive dans la définition du projet du point de vue des opérateurs (défaut d'anticipation interne) ainsi que les faibles marges de manœuvres laissées sur le plan technique en raison d'un prototype avancée dans sa réalisation, n'ont pas permis d'apporter de modifications significatives sur la conception du nouvel équipement.

Auteurs : Didier BISSON, chargé(e) de mission, Thierry IDENEA, Cabinet IDENEA, ARAVIS

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